Masato Sudo est un photographe majeur de l’histoire de la photographie du tatouage au Japon au 20e siècle.

En 1985, le Japonais créé la stupéfaction à la sortie de son livre Ransho chez celles et ceux s’intéressant de près ou de loin à la tradition de l’irezumi – le tatouage traditionnel japonais. Personne, jusque-là, n’avait vu des corps tatoués photographiés en couleur de la sorte. Entremêlés dans des visions kaléidoscopiques hallucinées, regroupés en bouquets dans des scènes proches de  l’ikebana (l’art floral japonais) ou placés méticuleusement dans son cadre comme les éléments d’un jardin zen, le regard de Sudo san leur donnait forme.

Ces prises de vue rendaient hommage à la beauté des chefs d’oeuvre tatoués, bien sûr. Les couleurs éclatantes illustraient l’excellence de leurs auteurs, parmi lesquels se retrouvaient plusieurs grands noms de l’irezumi comme Horiyoshi III, Horijin, avec lesquels le photographe avait eu la chance de collaborer. Elles témoignaient par ailleurs de l’esthétique contemporaine de la tradition nippone, marquée par les progrès techniques. Grâce aux encres modernes et la variété des nuances disponibles, les tatoueurs élevaient leurs créations à un niveau de flamboyance inégalé. De quoi alimenter la fascination de Masato Sudo. Elle allait se révélait intacte plusieurs décennies plus tard quand le photographe donnait une suite à son ouvrage mythique, sobrement intitulée : Ransho II

En juin dernier, à l’occasion de ma dernière visite à Tokyo, j’ai eu la chance de rencontrer Sudo san chez lui. Dans son atelier, niché dans une magnifique maison moderne en béton brut, cet artiste exigeant et fin connaisseur de la culture japonaise du tatouage a accepté de partager ses impressions sur les photographies d’Akimitsu Takagi.

Traduction : Fujikawa Makoto / Photos : ©P.Bagot

Masato Sudo et the tattoo writer

Qu’avez-vous pensé des images prises par M.Takagi ?

Ce sont des images précieuses, car c’était une belle époque. Je pense en particulier à celles prises dans le parc public et sous la cascade dans lesquelles des hommes sont montrés en fundoshi (bande de tissu blanc préservant l’intimité du porteur mais laissant le reste du corps dénudé visible). Ce ne serait plus possible aujourd’hui, ils se feraient arrêter. Les rendus des photographies de M.Takagi sont très convaincants.

Quelle appréciation en avez-vous eues ?

J’aime leur format carré. Il est particulièrement adapté pour prendre des portraits et photographier des individus. J’ai travaillé plusieurs fois avec un appareil moyen format comme celui utilisé par Takagi et il a un grand avantage : pour viser, il faut regarder vers le bas et non pas droit devant soi. Ainsi orienté dans une autre direction, le regard du photographe ne dérange pas le sujet.

Que peut-on dire de la position du photographe ?

Elle n’était pas celle d’un observateur. Takagi était vraiment dans le cercle des personnes tatouées qu’il photographiait. Je pense que son matériel participait à cette proximité, et plus précisément l’objectif qu’il utilisait. Il est ordinaire, probablement un 80mm, mais il nécessite d’être prêt du sujet.

Cette proximité que vous évoquez, était d’autant plus difficile dans le contexte d’un milieu underground.

Pour photographier à cette distance il était nécessaire de gagner la confiance des personnes. Mais aussi celles des tatoueurs, sans laquelle il aurait été impossible d’approcher leurs clients. Je pense qu’ils ont été les premiers à lui accorder leur confiance.

Masato Sudo, a longtemps photographié le tatouage japonais
the tattoo writer x M.Sudo

Techniquement, quel regard portez-vous sur ces images ?

L’appareil utilisé est léger, c’est un bi-objectif. Afin d’apporter la lumière nécessaire à certaines scènes, Takagi s’est servi d’un flash au Magnésium, fonctionnant avec des ampoules. À chaque déclenchement, il était nécessaire de changer la lampe utilisée. C’était donc assez contraignant et en même temps onéreux. Ce type de flash est souvent trop fort. Cela rend cet outil difficile à maîtriser. Mais je remarque que l’éclairage au fil des images est de plus en plus élaboré. Cela montre l’attention particulière qu’il a portée à correctement éclairer des scènes. L’effort de Takagi pour réaliser une belle photographie est ainsi perceptible. Et puis, l’angle qu’il choisit est souvent le meilleur.

Vous qui connaissez bien le tatouage japonais pour l’avoir photographié, qu’apprend-on en les regardant ?

Je connaissais bien le tatoueur Horijin, il lui aussi faisait le tatouage à la main. Lorsque l’on regarde ces photographies, on se rend compte que le tatouage se faisait de la même manière. La façon de tenir l’aiguille n’a pas changé. Maintenant, les tatoueurs utilisent la machine et les clients sont allongés. Mais dans certaines images ils sont assis par terre. Dans l’une d’elles le tatoueur utilise une feuille fine (ganpishi) de façon à transférer un motif sur le dos de sa cliente. Cela se faisait assez souvent. Pour revenir à Horijin, il était peintre et n’avait pas besoin du dessin pour tatouer. Il faut montrer ces images aux Japonais, ils doivent voir comment cela se passait avant.

Il y a des images que vous appréciez en particulier ?

Ses photos représentant des femmes sont intéressantes. D’apparence ordinaires, ces personnes sont pourtant bien tatouées. Je me demande quelle était leur profession. Quoi qu’il en soit, ces photographies n’ont jamais été publiées, c’est incroyable. On peut se réjouir du fait qu’elles existent encore mais aussi qu’elles puissent le rester éternellement. Dans le cas des photographies numériques produites aujourd’hui on ne sait pas quelle sera leur durée de vie. Ce n’est pas le cas dans la photographie argentique. Car, à partir du moment où un original subsiste, qu’il existe encore un négatif, elles resteront à jamais. En cela, c’est magnifique.

MAsato Sudo photographié par P.Bagot à Tokyo, 2023