« Le tatouage possède un attrait comparable à celui de l’opium : une fois sous sa coupe, toute résistance devient futile. Pour les personnes victimes de son emprise, plus rien n’a d’importance. »

Akimitsu TakagiExtrait tiré de son premier livre Shisei Satsujin Jiken (1948)
Autoportrait du tattoo writer, l'écrivain japonais fou de tatouage Akimitsu Takagi, ca. 1955, Tokyo

En bref

Akimitsu Takagi (1920-1995) est un des plus grands écrivains du roman policier japonais du 20e siècle.
Né à Aomori dans le nord du Japon, Akimitsu Takagi devient dans la période qui suit la fin de la Seconde Guerre mondiale l’un des auteurs les plus populaires du Japon. Issu d’une famille de médecins, scientifique formé à l’université de Kyoto avec l’élite du pays, Takagi quitte le secteur aéronautique après la défaite et s’investit de façon peu banale dans l’écriture, sur les conseils d’une voyante.
Son intérêt pour le tatouage lui sert de façon déterminante pour l’intrigue de son premier roman : Shisei Satsujin Jiken. Publié en 1948, cette enquête autour des meurtres de personnes tatouées dans le Tokyo dévasté d’après-guerre connaît un succès immédiat. Il lance sa carrière en même temps qu’il lui vaut dans les cercles littéraires de la capitale le surnom « écrivain du tatouage ». Quand il disparaît en 1995, il laisse derrière plus de 250 histoires. Au Japon, ses livres se sont vendus à plusieurs millions d’exemplaires.
Shisei Satsujin Jiken est traduit pour la première en français en 2016 et sort chez Denoël sous le titre Irezumi.

Repères

1948
Sortie du premier livre d'Akimitsu Takagi: Shisei Satsujin Jiken.
1953
Adaptation de Shisei Satsujin Jiken au cinéma par le réalisateur japonais Mori Kazuo.
1997
Sortie de The Tattoo Murder Case chez Soho Press (États-Unis), première traduction en langue anglaise de Shisei Satsujin Jiken
2016
Sortie de Irezumi chez Denoël, première traduction française de Shisei Satsujin Jiken.
2022
Sortie de The Tattoo Murder chez Pushkin Press, première traduction au Royaume-Uni de Shisei Satsujin Jiken.
Le tattoo writer, l'écrivain japonais Akimitsu Takagi chez lui à Tokyo, ca.1955

(Akimitsu Takagi chez lui, ca. 1955 ©Takagi A. coll. / DR))

Takagi entre en contact avec le milieu du tatouage à Tokyo après 1945, à l’occasion des recherches qu’il mène pour l’écriture de son premier roman, Shisei Satsujin Jiken (Irezumi, en français, The Tattoo Murder  [1] en anglais). Le tatouage est en effet au coeur de l’intrigue du livre. Elle met en scène les meurtres de personnes tatouées, victimes de motifs maudits dans une Tokyo en ruines où se croisent femme fatale à la peau de serpent, collectionneur de peaux tatouées ou encore club d’amateurs de tatouages attaché à l’esprit de l’ancienne Tokyo.
Devenu un jeune auteur à succès, Takagi étend le cercle de ses relations dans le milieu des amateurs. Par la même occasion, il approfondit sa passion pour le tatouage. Il familiarise avec les tatoueurs mais aussi les tatoués qu’il rencontre dans l’atelier des maîtres. Ce monde dans lequel il pénètre est inconnu de la société japonaise, du fait de la longue prohibition qui interdit le tatouage pendant presque 80 ans (de 1872 à 1948). D’observateur privilégié de cette société de l’ombre, Takagi devient un témoin de premier plan quand il commence à la documenter.
Il photographie ainsi les plus grands tatoueurs de l’époque. Ils se nomment : Horiuno II, Horiuno III, Horigorō II et Horigorō III ou encore Horiyoshi II, le célèbre tatoueur du quartier d’Azabu. Takagi photographie aussi les œuvres tatouées qu’il observe sur les corps de leurs clients. Des oeuvres singulières à l’incontestable beauté, comme on les fait dans la capitale japonaise depuis l’ancien temps. En effet, pendant l’ère d’Edo (1603-1868) la culture du tatouage figuratif se diffuse dans les couches populaires, dans le sillage du succès des estampes polychromes.
Et puis, il y a les femmes tatouées. Leur présence dans les images de Takagi est inattendue. Ce monde est habituellement montré dans les images qui le représente par des hommes. C’est une spécificité du témoignage de l’écrivain-photographe. Takagi lève le voile sur un pan méconnu de la clientèle des tatoueurs. Ces photographies de femmes défient les préjugés qui voudraient que le tatouage soit réservé aux hommes, ou comme le laisserait supposer l’observation des estampes anciennes. 
Cette attention aux femmes tatouées a une explication. Elle fait écho à l’origine de la passion pour le tatouage de Takagi. Une passion qui remonte à l’enfance : c’est au sentō, le bain public japonais auquel il accompagne sa mère, qu’il voit pour la première fois le corps d’une femme tatouée. Cette vision le marque à jamais. Elle forge aussi son regard. Pour Takagi, le tatouage, c’est de l’art.
Grâce à la photographie, Takagi satisfait non seulement son obsession pour le tatouage, mais réalise aussi un travail capital de mémoire. Le tatouage étant par essence un art éphémère, comment apprécier le savoir-faire des anciens maîtres ? Comment le transmettre aux nouvelles générations ? La photographie apportait ainsi une solution pertinente contre la véritable menace de cet art de l’ombre :  l’oubli. Et puis, sans mémoire quelle histoire de l’art ? Sans histoire, quelle reconnaissance pour les maîtres tatoueurs ? Leurs oeuvres ne témoignent-elles pas d’une excellence qui pourrait leur permettre, comme n’importe quel artisan japonais dédiée à faire vivre l’âme de l’art nippon, de s’élever eux aussi au rang de « trésor national vivant » ?

[1] The Tattoo Murder, chez Pushkin Press, 2022.